Vis ma vie de pigiste: Interview Karine NitkiewiczC’est avec beaucoup de gentillesse que Karine Nitkiewicz, rédactrice de Playfan, a accepté de répondre aux questions de Puissance-Gamers. Elle nous éclaire sur les facettes de son métier, et évoque avec passion le paysage vidéoludique actuel, à l’aube d’un E3 2006 qui marquera sans nul doute les esprits
Oni : Karine bonjour ! Après avoir bossé pour Joypad, puis pour Consoles +, tu es maintenant rédactrice pour Playfan, nouveau venu dans la presse vidéoludique française. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ce magazine ?
J’ajouterai juste que j’ai aussi collaboré à l’Officiel PlayStation Magazine puisque c’est là que j’ai écris mes premiers textes et que depuis, ma notoriété internationale aidant (oui oui j’ai bien dit internationale), les propositions pleuvent et je dois sélectionner à mort. Plus sérieusement, un jeune homme fort sympathique prénommé Arnold avec qui j’avais participé à un press tour voici au moins 2 ans m’a passé un p’tit coup de fil pour me proposer de rejoindre l’aventure PlayFan. On avait bien sympathisé durant ce voyage de presse organisé par Sony en Californie et je me souviens qu’on avait atterri dans un centre de tirs dans un des quartiers les plus mal famés de Los Angeles. On a tiré au fusil à pompe, ça crée des liens 😉
Enfin bref, Arnold m’appelle et me propose de faire des tests pour PlayFan. Et je lui réponds :
– Non mais t’es pas malade de faire un mag de jeux vidéo alors que la presse spé se casse la figure ?
– Ben ouais, qu’il me répond, mais là c’est 100% indépendant, on gère totalement le mag’ de A à Z. Et on ne parle pas que de jeux vidéo mais aussi de bidouillages en toute légalité of course sur PSP et DS. PlayFan ne s’adresse qu’aux consoles portables.
– Indépendant tu dis ? Alors là, je dis banco, je dis c’est parti mon kiki ! »
En résumé, telle à été ma réflexion. Et comme PlayFan ne paraît que tous les 2 mois, ça me laisse du temps pour glander, enfin je veux dire pour me ressourcer tout ça …
Oni : Pourquoi avoir choisi cette activité de rédactrice pour la presse JV ?
Je n’ai pas choisi, ça été un gros coup de chance en fait. Ma sœur Céline, qui est un peu plus jeune que moi, a toujours beaucoup joué aux jeux vidéo. Moi pendant ce temps, j’essayais de décrocher ma licence de droit mais je me plantais toujours lamentablement aux partiels. J’ai quand même décidé d’intégrer un cabinet d’avocats en tant que secrétaire juridique histoire d’utiliser mon background légal et surtout pour payer mon loyer.
Bref, ma sœur harcelait ma mère depuis des mois pour qu’elle lui achète PlayStation Magazine qui à l’époque valait 49 francs je crois, une somme inconcevable pour ma mère. Mais un jour, elle change d’avis et l’achète. Ma sœur le dévore et me montre une annonce emploi à la fin du mag’. L’équipe cherche une secrétaire de rédaction qui n’aurait pas forcément une expérience professionnelle dans le domaine, mais qui se débrouille en orthographe :
– Karine ! Faut absolument que t’envoies ton CV, qu’elle me dit ma sœur.
– Euh … ouais je sais pas, bon c’est vrai que j’ai participé aux demi finales des Championnats d’orthographe de Bernard Pivot et que je m’endors avec le Bescherelle sous mon oreiller mais quand même, j’ai aucune expérience !
– Attends mais va-y envoie ton CV, envoie ton CV, envoie ton CV me martèle ma sœur.
Chose que j’ai faite, je me rappelle j’avais découpé la tronche d’Abe et je l’avais collé sur l’enveloppe. A l’époque j’étais à fonds sur Oddworld sur Psone. Et puis un mois plus tard, message sur le répondeur de mes parents. Rendez-vous avec Jean-François Morisse, rédac’ chef de PlayStation Mag. Tac, je prends le train pour Paris et tac il me dit que le poste de secrétaire de rédaction est déjà pris (ben super que je me dis, j’ai fais le voyage pour rien), mais qu’il songe à intégrer une fille dans l’équipe de rédaction.
Et là je le regarde avec des yeux ronds et je lui dit que je n’ai jamais écris de texte et que je ne suis pas une méga pro des jeux vidéo. Pas grave qu’il me répond, tu commenceras par t’occuper de la rubrique des jeux pour enfants.
Et voilà, c’était parti !
Oni : A quoi ressemble la journée type d’un pigiste?
Le truc qui est bien quand tu es pigiste, c’est que tu as toute liberté pour organiser tes journées. La seule contrainte, c’est le bouclage, date à laquelle tous les textes doivent avoir été rendus pour que derrière les secrétaires de rédactions et maquettistes puissent les travailler et y coller des images. Tout ça avant que le mag ne parte à l’impression.
Donc moi j’ai pas d’horaires fixes, mais je ne peux ni jouer, ni écrire la nuit, c’est pas mon truc. J’essaie de conserver un rythme assez normal mais bon les seules fois où je me lève à l’aube c’est parce que je dois me rendre à l’aéroport pour un voyage de presse. Je travaille la plupart du temps chez moi, mais l’ambiance de la rédac’ me manque un peu (snif) depuis que j’ai du quitter Consoles+.
Oni : Aujourd’hui, on ressent dans les magazines spécialisés moins de folie, peut-être un peu moins de passion de la part des rédacteurs, et un aspect « professionnel » plus développé. On a l’impression que le temps des fanzines créées par des fans est révolu, laissant la place à des mag’ stéréotypés. Comment peux-tu expliquer cela ?
Je pense qu’on arrive à une étape charnière où l’on voit se confronter 3 clans de joueurs. Ceux qui ont commencé à jouer aux jeux vidéo il y a 20 ans, ceux qui y ont goûté avec l’arrivée de Sony, et les nouveaux qui rejoignent le mouvement (merci la DS et les gadgets de Sony comme l’Eye Toy, Singstar et Buzz).
Le jeu vidéo se démocratise et les ventes de certains titres explosent comme WoW et GTA pour ne citer qu’eux. Cependant aucun magazine ne reflète ce bouleversement.
Et, ainsi, les jeux vidéo conservent une image négative auprès du grand public. Pourquoi on ne trouve pas d’émission de jeux vidéo digne de ce nom sur une chaîne hertzienne, ou même sur le câble ? Parce que leurs dirigeants pensent que le portrait type d’un joueur est un toto de 14 ans qui avale tous ce qu’on lui présente. Ils sont complètement à côté de la plaque, et oublient l’impact incroyable d’Internet sur les joueurs, ainsi que leur connaissance personnelles des jeux vidéo.
Et pour la presse spécialisée, c’est le même topo. Les dirigeants ne pensent qu’aux ventes et n’ont su ni anticiper ni contrecarrer l’essor fulgurant du net. Leurs mags ne proposent rien qu’on ne puisse trouver gratuitement sur le net. Il n’y a dans cette presse aucune réelle prise de position, aucune volonté de prendre sinon les éditeurs à contre-pied, du moins pour résister à leur pression grandissante. Car les coûts de production d’un jeu vidéo étant de plus en plus élevés, les chiffres de ventes se doivent d’amortir les investissements engagés. La pression se répercute à tous les niveaux avec comme mot d’ordre : vendre encore et toujours plus.
La presse spé, à part une ou deux exceptions, n’a plus le pouvoir d’antan, lorsque les magazines se vendaient bien et tiraient pour certains jusqu’à 100 000 exemplaires. Son pouvoir a chuté également depuis la crise de la pub qui sévit dans toute la presse depuis quelques lunes. Les annonceurs sont devenus plus frileux ou se tournent maintenant vers internet.
Enfin, le fait qu’une maison d’édition en France concentre en son sein la quasi totalité des magazines de jeux vidéo n’est pas non plus rassurant et encore moins un gage de qualité. La concurrence est toujours nécessaire pour permettre de confronter des points de vue et d’évoluer. (Vive Canard PC, vive PlayFan !)
A mon avis, les magazines qui traitent exclusivement de jeux vidéo n’ont plus d’avenir à moyen terme. Il faut trouver une nouvelle formule, une vraie, pas seulement un changement de maquette. Il ne faut pas oublier qu’un mag coûte en moyenne 6 euros et certains vont parfois jusqu’à 8 ou 9 euros ! Et pour ce prix-là, un magazine se doit de proposer des trucs que tu ne trouves pas sur le net. Peut-être que la solution serait dans un magazine qui diversifie l’offre et qui ne parle pas que de jeux vidéo mais aussi un peu de ciné, de musique et de tout ce qui tourne autour du jeu vidéo et qui possèderait un site Internet avec des délires de testeurs qui ne se prennent pas au sérieux. On peut toujours rêver hein !!! J’en discutais encore avec Cony (Consoles+) hier, et on se disait que ça serait bien de faire un blog sur le jeu vidéo et de se lâcher un peu, et montrer comment ça se passe vraiment de l’autre côté et retrouver ce ton libre qu’on avait avant dans les magazines. Et puis j’ai gardé contact avec la plupart des anciens rédacteurs de Joypad et Consoles+ donc bon, on ne sait jamais !
Oni : Séquence nostalgie : quel était le premier jeu auquel il t’a été donné de jouer ?
J’ai de vagues souvenirs sur Amstrad d’une chenille colorée, Caterpillar je crois et d’un Painter. J’étais aussi super fan d’Ayrton Senna Super Monaco Grand Prix II sur Megadrive avec ses fameux « Final lap ! » et le bruit insupportable « tititititititiii » quand tu mordais sur les bordures.
Oni : Un jeu favori ?
Impossible de n’en retenir qu’un. Les jeux qui m’ont marqué sont ceux qui m’ont complètement embarqué dans leur univers comme Resident Evil, le 4 a fait très fort. Je me rappelle avoir été dans les locaux de Capcom à Osaka, on était un petit groupe de français et on a passé toute l’après midi sur une version du jeu, en faisant des pauses chacun notre tour pour interviewer le producteur (Hiroyuki Kobayashi) dans la salle à côté. Et pendant l’interview, j’entendais les applaudissements et les cris de ceux qui jouaient. Et Monsieur Kobayashi ne voulait pas qu’on progresse trop vite pour qu’on ne voie pas trop le jeu. Mais son sens de la retenue toute japonaise lui a interdit de nous enlever la version du jeu alors qu’il devait en crever d’envie !
Dans les jeux qui m’ont marqué, il y a aussi Oddworld l’Odyssée d’Abe, Sonic (ma sœur en est une fan ultime), Doom, Silent Hill, Metal Gear Solid et bien évidemment ICO et Shadow of the Colossus. Je ne suis pas très calée en RPG, mais j’avais bien apprécié Baten Kaitos.
Oni : Que penses-tu de l’évolution actuelle du marché du jeu vidéo, ce clivage entre course à la puissance et recherche de l’originalité ?
J’aime assez l’attitude faussement zen de Nintendo qui laisse Sony et Microsoft s’étriper sur le terrain de la surenchère technologique. Lors d’un voyage à Kyoto début 2004, j’ai pu converser avec le porte parole de Nintendo Yasuhiro Minagawa, pour qui le problème majeur était le désintérêt des japonais pour les jeux vidéo. Selon lui, la conquête d’un nouveau public de « non joueurs » était primordiale. Et je pense qu’ils sont en train de réussir leur pari. La DS en a pris plein la tête à sa sortie (moche, design pour enfant, stylet pour quoi faire etc…) et au final, elle est en train de calmer tout le monde avec des titres aussi originaux et innovants que Nintendogs, Phoenix Wright Ace Attorney, Trauma Center et j’en passe ! Il suffit de regarder les chiffres mirobolants de la DS Lite pour jauger de l’ampleur du phénomène sur le sol nippon. Les ventes de la DS Lite frôlent les 700 000 exemplaires depuis sa mise sur le marché début mars.
La surenchère technologique ne m’intéresse pas si elle n’est que de la poudre aux yeux et qu’elle ne sert pas une véritable histoire.
Oni : Des petites préférences en terme de consoles ?
Non pas vraiment. Vu que j’ai la chance de pouvoir accéder à toutes les consoles, je peux dire que ce qui m’attire avant tout c’est le jeu en lui même et pas de savoir si la manette machin est trop grosse ou si la console est moche. Je m’en fous du moment que le jeu arrive à m’accrocher.
Oni : Depuis quelques temps, on sent que le jeu vidéo au féminin prend son essor, que ce soit en terme de jeux créés, d’initiatives des éditeurs (la Team Frag Dolls d’Ubisoft), mais aussi du nombre croissant de joueuses tous supports confondus (World of Warcraft reste un parfait exemple). Toi qui vit cela de l’intérieur, que penses-tu de cette évolution des mœurs ?
Je pense que vous allez bientôt vous prendre un raz de marée féminin sur le coin du nez et ça va vous faire tout bizarre 😉
Evidemment le fait que les filles soient de plus en plus présentes, et surtout pas cantonnées à des jeux pour nunuches cul cul la praline c’est rassurant. Et si WoW connaît un succès fulgurant c’est aussi parce que les filles peuvent y jouer avec leur mec !
Les filles rattrapent doucement leur retard, mais je ne pense pas que l’égalité vidéo ludique des sexes soit pour demain, ça sera pour les futures générations sans aucun doute !
Le mouvement est en marche et il va prendre de l’ampleur, c’est certain.
Oni : Le mois prochain débutera le salon de l’E3 à Los Angeles, très attendu cette année. En effet nous allons enfin en savoir beaucoup plus sur la PS3 de Sony et la Révolution de Nintendo, ainsi que sur de nombreux jeux annoncés en développement (God of War 2, Halo 3, Zelda Twilight Princess etc.). Qu’attends-tu de cet évènement ?
J’attends de voir ce que la PS3 a vraiment dans le ventre, même s’il faut toujours se méfier de Sony et de ses annonces fracassantes. N’oublions pas qu’à la sortie de la PS2, on nous avait promis un Emotion Engine qui devait faire pleurer sa mère, et au final … la PS2 ne m’a jamais bouleversée niveau graphismes. Ca n’a jamais été la claque visuelle annoncée. Concernant la PS3, une rumeur fait état d’une manette totalement repensée vu que l’espèce de boomerang montré à l’E3 l’année dernière a reçu un accueil pas vraiment enthousiaste.
J’espère vraiment avoir une date pour la sortie du prochain Zelda qui se fait trop attendre et surtout, je crève d’envie d’essayer la Revolution …
Oni : Tu y seras ?
Malheureusement non, je suis fichée aux douanes US depuis que j’ai mordu un chien antidrogue qui me reniflait de trop près … Je plaisante bien sûr, mais non je n’y serais pas. Et je compte sur le net pour avoir les réactions à chaud !
Oni : Dernière question : quels conseils pourrais-tu donner à nos apprentis rédacteurs qui font vivre le site par leurs écrits, Puissance-Gamers proposant aux internautes de réaliser des tests, des dossiers, mais aussi des news concernant l’actualité vidéoludique ?
Des conseils … Voyons … Le plus important quand tu écris un test, c’est de faire passer tes émotions et d’expliquer ce que tu as ressenti en jouant, sans pour autant utiliser un discours ampoulé comme si tu voulais te la jouer Baudelaire du XXIème siècle. Certains jeux peuvent se prêter aux analyses de fond, mais pas tous.
Je pense qu’il faut aller à l’essentiel et bien garder en tête à quel public on s’adresse (hardcore gamers, grand public, enfants etc…) sans pour autant sombrer dans des clichés comme par exemple utiliser un langage neuneu quand on s’adresse à des jeunes joueurs. (Règle numéro un : ne jamais prendre le lecteur pour un con).
Il faut éviter de faire trop de descriptif (les arbres sont super vert et le sol est marron) mais insister sur ce qu’on a aimé ou ce qui a été le plus gênant. Tiens hier par exemple je testais Splinter Cell Essentials sur PSP et j’ai fini avec un manteau sur la tête car le jeu est tellement sombre que tu ne peux pas y jouer en plein après-midi. Je trouve que c’est important de le signaler. Il faut garder en tête que les jeux coûtent cher, en expliquant bien pourquoi tel jeu vaut le coup ou pas.
Mais au final, un test reste subjectif et chacun est libre d’y trouver un écho ou pas !
Oni : Merci beaucoup pour cet entretien, tous nos encouragements pour Playfan, et peut-être à une prochaine fois !
Karine répond à vos questions!
PG vous propose de poser vos questions à Karine (via la rubrique « nous contacter », ou dans les commentaires), ceci jusqu’au dimanche 23 avril. Les questions seront répertoriées puis envoyées à Karine, qui y répondra avec plaisir. A vos claviers! :o)